Commeon peut le constater, le bouc émissaire a un lien étroit avec nos émotions les plus enfouies, dont l’expression de la frustration, la manque de contrôle, la peur de l’imprévu et la XXfVE. Insultes, moqueries, bousculades… Le quotidien d’un lycéen victime de la loi du “tous contre un” est un calvaire ! Les conseils du magazine Phosphore pour aider un adolescent bouc émissaire de sa classe à sortir de cette situation… Pourquoi y a-t-il des boucs émissaires ? L'expression “bouc émissaire” vient de la tradition juive. Selon la coutume, un prêtre posait les mains sur la tête d'un bouc et le chargeait de tous les péchés et de tous les malheurs de la société. Ensuite, on rejetait le bouc dans le désert pour éloigner le mal de la peut facilement transposer cette histoire de nos jours, au lycée. Comme le bouc de la tradition juive, le “bouc émissaire” de la classe est désigné, souvent inconsciemment, pour apaiser les problèmes. En remettant toutes les fautes sur une seule personne, les autres se déchargent de leur que la classe est apaisée, le calvaire du bouc émissaire, lui, ne fait que commencer. Il y a d'abord l'incompréhension “Pourquoi moi ?”, puis la culpabilité “Après tout, si ça tombe sur moi, c'est que je dois y être pour quelque chose.” Non il/elle n'y est pour rien. Mais il/elle n'a pas été choisie par hasard pour autant. Sortir de la position de victime Le bouc émissaire est comme tout le monde, à une différence près. Une différence qui va incarner tous les problèmes dans l'inconscient de la classe. Ce peut être le/la premiere de la classe, le/la cancre, une personne obèse, trop grande, un étranger… Ceux d'entre vous qui ont connu cette situation le savent plus on reste dans la position de la victime, moins on a de chances d'en solution ? S'entourer. Si votre “différence” dérange, vous ne serez pas rejetée au sein d'un groupe qui partage votre particularité. Par exemple, un bon élève peut rencontrer d'autres bons élèves en participant à des épreuves interlycées, comme le concours “Kangourou des mathématiques”.Un élève en difficulté peut quant à lui rencontrer des gens qui ne le jugeront pas dans des cours de soutien scolaire. À vous de trouver les bonnes personnes pour sortir de la solitude. Attention quand même en vous entourant exclusivement de gens qui vous ressemblent, vous risquez de vous enfermer dans un rôle. Un rôle qui ne vous correspond pas entièrement et qui a peu de chance de pouvoir évoluer. Se construire en dehors du lycée Heureusement, le lycée n'est pas le seul terrain sur lequel vous pouvez vous accomplir. Il existe de nombreuses manières de rencontrer d'autres personnes et de vivre de nouvelles expériences. Dans un cours de sport collectif par le terrain, pas question de rejeter qui que ce soit, puisque chaque joueur est indispensable au reste de l'équipe. Les atouts et les faiblesses de chacun permettent d'élaborer une stratégie commune. Peu importe que vous gagniez ou perdiez vos matchs, vous gagnerez quelque chose de bien plus précieux le respect et la considération des autres. De quoi booster votre confiance en vous, même en dehors du n'êtes pas très sportif ? Une activité artistique ou du bénévolat dans une association peut également ouvrir vos horizons. À chacune de trouver le domaine dans lequel il/elle s'épanouira, du moment qu'il vous sort de l'environnement du lycée. Le 22 février 2012 Chloé Plancoulaine, “Bouc émissaire, comment s’en sortir”, Phosphore, mars 2012 Par Eric Bergerolle le à 13h28 Lecture 3 min. Abonnés La loi Climat entend diminuer de moitié en dix ans les émissions de particules du chauffage au bois. Cette disposition a été votée à une large majorité par les députés qui ont enfin compris que l'automobile est loin d'être la plus à blâmer — du moins pour cette forme de pollution atmosphérique. Le chauffage au bois pèse 43 % des émissions de particules fines, contre 18 % pour les transports. En toute logique, la loi Climat lance la traque aux vieux âtres, ceux qui offrent le moins bon rendement et polluent le plus l'air. AFP/Archives - JANEK SKARZYNSKI Qui dit pollution de l'air songe immédiatement aux gaz d'échappement des voitures. La bagnole fait donc la coupable toute désignée lorsqu’on évoque le fameux chiffre des décès prématurés, du fait d’une exposition prolongée à une trop forte concentration en particules fines. S'instaure ainsi l'idée dans l’opinion publique que la "bagnole-qui-pue" est aussi la bagnole qui tue. Un raccourci qui conduit à passer sous silence d'autres sources émettrices de ces minuscules fragments de matières solides. L'industrie automobile a développé un véritable complexe de persécution, persuadée qu’elle est d'être le souffre-douleur des militants écologistes autant que la victime des excès de la politique anti-voiture du gouvernement. Elle hésite entre paranoïa et résignation, particulièrement en cette période d’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi “Climat et Résilience”. Un texte volontariste, qui voudrait non seulement interdire dès 2030 la vente de véhicules émettant plus de 123 g/km de CO2, mais encore ouvrir aux élus locaux la possibilité de bannir les véhicules de certaines tranches d’âges. Pollution Bourse Le 22/08 à 14H41 CAC 40 6394,61 -1,56% Bonnes feuillesCe n’est pas parce que votre enfant ou vous-même êtes brillants ou talentueux que vous êtes surdoués. Et ce n’est pas parce que vous êtes surdoués que vous êtes malheureux. Le vrai surdoué a un QI supérieur à 125, un fonctionnement intuitif, et une bonne insertion sociale. La souffrance n’est pas un critère, mais juste le signe que le surdoué a besoin – comme tout le monde – d’une thérapie. Béatrice Millêtre remet les pendules à l’heure ! Extrait de l'ouvrage "Le livre des vrais surdoués" de Béatrice Millêtre, publié aux Éditions Payot. 2/2Béatrice MillêtreBéatrice Millêtre, docteur en psychologie, spécialiste en sciences cognitives, est psychothérapeute. Elle est notamment l'auteure de "Reussir grâce à son intuition", du "Livre des bonnes questions à se poser pour avancer dans la vie", de "Le burn-out des enfants" et plus récemment du "Livre des vrais surdoués", publié aux Éditions Payot. Elle vient également de publier chez Payot "Cahier de vacances pour enfants précoces". Voir la bio »Comment reconnaître un "surdoué" d'un "haut-potentiel" ?avec Béatrice MillêtreJe reçois régulièrement des gens qui se demandent s’ils sont surdoués. Ils se sont, me disent-ils, reconnus dans les caractéristiques qu’ils ont pu lire, sur Internet ou dans des livres. Je les interroge alors pour savoir ce sur quoi ils se sont reconnus. J’ai procédé de même lors de la dernière formation que j’ai donnée auprès de futurs thérapeutes qui vou- laient acquérir des compétences en matière de surdoue- ment. Voici leurs réponses - Un surdoué est quelqu’un d’ C’est quelqu’un qui a des problèmes de communication, qui remet tout à demain, qui procrastine donc, qui ne termine jamais ce qu’il entreprend, qui ne sait pas se concentrer et qui est Quelqu’un qui a des problèmes sociaux, voire est asocial. - Il a su lire avant les autres, parfois tout seul. Il est le bouc émissaire dans la cour de récré et, si ce n’est pas le cas, il n’a pas d’amis, trouvant les autres inintéressants, ou bébêtes ».- Ils sont créatifs et ont de l’ On dit qu’ils ont de la mémoire, mais, souvent, ce n’est pas le Ils ne savent pas parler de la pluie et du beau temps, s’ennuient en société, n’aiment pas la compagnie des ne trouve dans ces énumérations que peu, ou pas de référence à l’intelligence – à la quantité d’intelligence, je veux dire. Les caractéristiques sur lesquelles les gens se reconnaissent sont plutôt négatives et portent plus sur un fonctionnement intrinsèque, une qualité d’intelligence, qu’une quantité. Et cela amène directement à préciser ce dont nous question de vocabulaireSurdoué est peut-être le mot le plus couramment utilisé ; il sous-entend des personnes douées pour tout, plus douées que les autres. Aucune des personnes que je reçois ne se sent à l’aise avec cette notion. Au contraire, elles ne se sentent pas particulièrement douées et trouvent prétentieux de se clamer surdoué. Le concept du zèbre » a été inventé pour signifier que les surdoués ne sont ni cheval, ni âne. Cette notion ne parle pas non plus aux personnes que je reçois, et ne me parle pas non plus. En effet nous sommes tous des êtres humains, et ce terme de zèbre a un effet stigmatisant. Étant classé ailleurs » que dans la gente humaine, comment un zèbre peut-il dès lors s’y épanouir ? C’est faire acte de déni de sa propre personnalité et de sa propre spécificité. Cela conduit également à ne pas pou- voir aller bien, puisque obligeant à s’exclure de l’huma- nité. C’est enfin, puisque s’excluant de l’humanité, en nier les points communs ; c’est l’impossibilité de pouvoir la comprendre ou s’en faire comprendre ; c’est donc se ghettoïser volontairement. Je n’ai, comme je le disais, que peu reçu ce type de personnes. Je me souviens d’Élise, 27 ans, dans le déni de qui elle était, mettant tout en doute, à la fois ses propres compétences et les miennes. Elle ne pouvait commencer une phrase sans Oui, mais c’est vous qui le dites, mais les autres disent autre chose », Oui, mais je ne suis pas d’accord », ou Oui, mais comment le savez-vous »…Elle mettait en doute la possibilité même d’être un zèbre, tout en la recherchant. Elle faisait partie de groupes de zèbres qui, lorsqu’ils se rencontraient, se présentaient en disant Bonjour, je m’appelle XX et j’ai YYY de QI. » Haut potentiel HP ou haut potentiel intellectuel HPI sont les termes retenus par nos amis Belges. Ils correspondent à l’idée d’un potentiel qui n’est donc pas forcément exprimé, et reflète donc une idée de frustration liée à des compétences inemployées. Il ne stigmatise pas les gens qui acceptent assez facilement cette étiquette. Enfant intellectuellement précoce EIP est la termi- nologie retenue par l’Éducation nationale française. Elle prend en compte le fait que l’enfant exprime des compétences avant sa tranche d’âge. Par contre, une fois que tous expriment cette compétence, il ne devrait plus y avoir de différences – si vous savez marcher à 10 mois, une fois que tout le monde sait marcher à 15 ou 16 mois, on n’observe plus aucune différence, et on ne peut pas savoir qui avait acquis la marche précocement – ce qui n’est pas le cas. Neuro-droitier est un mot que j’ai traduit de l’anglais right-brained, qui reprend cette idée que le fonctionne- ment intuitif particulier aux surdoués est lié à une préférence hémisphérique du fonctionnement cérébral l’hémisphère un concept qui pose un certain nombre de questions scientifiques, mais qui correspond à une réalité psychologique. Il a pour avantage de ne pas faire mention d’une plus grande intelligence, ce qui correspond assez bien au ressenti des personnes que je reçois, simples et humbles. Gifted traduit l’idée de dons, overgifted de surdon, quant à talented et multitalented, c’est l’idée de talents et de talents multiples, retenue par les Américains et les Canadiens, avec le devoir de tirer parti des dons et talents de chacun d’entre nous. Scientifiquement parlant, c’est probablement la meilleure définition. Elle reprend l’idée d’intégration sociale si vous êtes talentueux, ou doué, cela implique, de manière sous-jacente, que votre don ou votre talent est visible et donc exprimé. Culturellement parlant, c’est une idée qui choque un peu les Français, égalitaires que nous sommes il nous est difficile de concevoir que certains soient meilleurs que d’autres », et ce n’est pas une option éducative. Les pays anglo-saxons ont l’idée que chacun présente des talents différents qu’il appartient au système éducatif de mettre en évidence puis de développer. Dans ce contexte, la notion de personne douée ou talentueuse s’y inscrit parfaitement. Ce n’est pas une notion culturellement européenne, et l’on aurait tendance à plus facilement accepter, je crois, l’idée de talents aucune de ces terminologies ne reflète la réalité de qui sont les surdoués et de ce qu’est leur vie, de ce que sont leurs questionnements, leurs préoccupations, leurs interactions sociales, leurs difficultés, leurs réussites, leur place dans le monde. Je dirai donc que le terme de surdoué » est celui qui correspond le plus à la réalité scientifique des per- sonnes plus douées dans un ou plusieurs domaines, mais à laquelle les personnes elles-mêmes n’accrochent pas ; le terme de haut potentiel », est celui que les personnes préfèrent utiliser, qui correspond plus à ce qu’ils ressentent, mais moins à la réalité scientifique. Je n’utilise cependant pas le terme d’ intellectuel » ni pour les enfants précoces, ni pour les adultes à haut potentiel, auquel je n’adhère pas. En effet, s’il correspond à un fonctionnement intellectuel spécifique, il génère automatiquement l’idée d’intellectuel et d’expression des potentialités dans un domaine exclusivement intellectuel, ce qui n’est pas le reflet de la réalité. Que dire de ces personnes, surdouées ou à haut potentiel, qui font partie de l’équipe olympique de basket, de l’équipe de France d’équitation, de l’équipe régionale de hand-ball, qui sont couturiers, danseurs, musiciens, chefs dans la gastronomie, paysagistes, com- merçants… Cette notion d’intellectuel correspondrait plutôt à l’idée de haut quotient intellectuel, qui n’est pas ce que l’on entend aujourd’hui par surdoué. Qu’est-ce qu’un surdoué ?Le premier point, peut-être le plus fondamental, est qu’être surdoué n’est pas une pathologie, et vous ne trouverez donc pas le concept du surdouement répertorié dans quelque manuel des critères diagnostiques des pathologies mentales que ce soit. Ainsi, le premier critère est donc d’être en bonne santé mentale. Cela peut paraître évident, mais n’est que rarement pris en compte dans l’identification, du moins en France et en Europe, alors que cette dimension fait partie intégrante du processus outre-Atlantique. Cela veut dire que le bilan devrait se conclure par la nuance va bien ou présente telle ou telle problématique ». Comment identifie-t-on la notion de bien-être mental ? De manière simpliste et simplifiée, nos amis Québécois utilisent la notion d’insertion ou d’intégra- tion sociale, traduisant le fait que le surdoué, malgré ses différences, sait en tirer parti, sait s’inscrire dans le monde dont il a compris les tenants et aboutissants, les règles sociales et sait donc transformer son potentiel en réalité. C’est fondamental, on ne peut en faire l’économie, et cela évite de nombreux quiproquos. Viennent ensuite les points de fonctionnement intrinsèque et d’intelligence. Dans l’acception actuelle du sourdouement, un sur-doué doit présenter deux caractéristiques traduisant une intelligence différente - un quotient intellectuel QI de plus de 125 tel que mesuré au test de Weschler ; - un fonctionnement y a aujourd’hui consensus sur ces deux points, même si, d’un collègue à l’autre, la terminologie diffère. Ce qui implique que l’on peut avoir un QI supérieur à 125 sans être surdoué et que l’on peut avoir un fonction- nement intuitif sans non plus l’être. Il y a ainsi deux types de personnes présentant un QI supérieur à 125 les personnes à haut potentiel QI > 125 et fonctionnement intuitif et les personnes à haut QI QI > 125. Les deux présentent la même quantité d’intelligence, mais leurs fonctionnements sont différents. C’est la quantité d’intelligence qui leur fait, à tous les deux, trouver le temps long à l’école. C’est par contre le fonctionnement différent qui fait dire à un enfant HP qu’il ne peut pas écrire 6 » au collège parce que c’est trop simple. L’un aura plutôt des résultats homogènes au test de QI, l’autre plutôt hétérogènes. Certains parlent ainsi de HP complexes vs HP laminaires. Les seconds n’ont besoin que d’accompagnement psy- chologique pour des problématiques précises alors que les premiers ont besoin de savoir qui ils sont, de comprendre qui sont les autres, ce qu’est le monde et son mode d’emploi pour décider, ou non, de s’y conséquence immédiate est que si l’on ne présente que l’une de ces caractéristiques, l’on n’est pas surdoué. On peut être intuitif ou plus intelligent sans toutefois être HP. Cela implique qu’il existe deux types de populations présentant la même quantité d’intelligence », le même score au test de QI l’une intuitive, l’autre non ; l’une surdouée, l’autre non ; l’une haut potentiel, l’autre non. Le problème aujourd’hui, et j’y reviendrai, est que l’identification d’un surdoué repose quasi exclusivement sur le test de QI, qui ne propose pas de vocabulaire pour distinguer ces deux populations. Le plus simple est ainsi d’utiliser deux mots différents, qui rendent compte de cette distinction haut potentiel HP d’une part, haut quotient intellectuel d’autre part HQI.- HP = QI > 125 + Intuition - HQI = QI > 125 – Intuition Les vrais » surdoués, que l’on reçoit en cabinet, qui présentent des problèmes d’adaptation, parfois, qui fonctionnent à contre-courant d’eux-mêmes, sont sou vent les HP. Les seconds sont plutôt bien adaptés socialement, connaissant les règles sociales et scolaires et sachant ce que l’on attend d’eux, et sont en accord avec eux- de leur potentiel ne réside pas uni- quement dans des composants intrinsèques de leur fonctionnement, mais dans les interactions entre ces composants, leur environnement et leur de l'ouvrage "Le livre des vrais surdoués" de Béatrice Millêtre, publié aux Éditions Payot© Editions Payot & Rivages, Paris, Résumé Plan Notes de l’auteur Texte Notes Citation Auteur Résumés Die Sündenbock-Interpretation des Antisemitismus stösst in weiten Fachkreisen immer noch auf Ablehnung, und zwar nicht zuletzt, weil man niemals von diesem Modell ausging, um theoretische Überlegungen anzustellen. Zunächst wird somit eine Kurzanalyse dieses Mechanismus als Regulativ in sozialen Krisenzeiten vorgelegt, wobei er in zweifacher Hinsicht genauer dargestellt werden soll angestrebt wird die Beschreibung seines Funktionierens sowie der unerlässlichen Voraussetzungen seines Wirkens — der Glaubwürdigkeit, Sichtbarkeit und Verwundbarkeit des Sündenbocks. Anschliessend wird der Versuch unternommen, aufzuzeigen, dass im Deutschland des 19. u. 20. Jahrhunderts die soziale Lage von breiten Bevölkerungsschichten die Ausbreitung des Antisemitismus erklärt. Der Nazi-Antisemitismus hat die Wirkungsmöglichkeiten dieses Mechanismus bloss auf ihren Höhepunkt getrieben. Si le modèle du bouc émissaire est assez largement refusé comme modèle explicatif de l’antisémitisme, c’est parce qu’il n’a jamais été théorisé. On s’efforcera donc, dans une première partie, de proposer brièvement une analyse de ce mécanisme de régulation des crises sociales, en cherchant à préciser à la fois comment il fonctionne et à quelles conditions – de crédibilité, de visibilité et de vulnérabilité du bouc émissaire – il peut être mis en œuvre. On tentera ensuite de montrer que dans l’Allemagne des XIXe et XXe siècles la situation sociale de larges couches de la population explique pourquoi l’antisémitisme s’est développé. L’antisémitisme nazi n’a fait que pousser à leur paroxysme les potentialités du mécanisme*. If the image of the scapegoat is usually rejected as an explanatory model of anti-Semitism, it is because it has never been the object of a theoretic approach. Thus shall we in a first part put forward a brief analysis of the scapegoat model as a system of regulation of social crises, and at the same time show how it works and what are the various conditions acceptability – recognition – vunerabilty of its appearance. In a second part we shall consider how in 19th and 20th century Germany the social situation of an important part of the population contributed to the development of anti-Semitism. Indeed, Nazi anti-Semitism did nothing but push to extremes the potential resources of this de page Notes de l’auteur* Les matériaux utilisés dans ces pages viennent d’une thèse de doctorat d’État, soutenue en mai 1986 à l’Université de Paris-Sorbonne, et dont une version abrégée est à paraître aux Éditions du Cerf. Texte intégral 1 – C’était la position, lors de la soutenance, de l’historien israélien Saul Friedländer. On retrouv ... 1Par ce titre, on a voulu proposer une lecture de l’antisémitisme allemand, et du nazisme en particulier, à l’aide du modèle du bouc émissaire ». Gomme une telle démarche va très généralement à l’encontre d’une attitude largement partagée, et pas seulement par les historiens du nazisme1, il a paru nécessaire d’insister plus sur ce modèle du bouc émissaire », pour en proposer une analyse relativement approfondie, que sur l’antisémitisme allemand, supposé connu. Comme tout effort de théorisation, il s’agit d’élaborer une grille de lecture qui puisse s’appliquer et donc rendre compte des événements historiques ; et comme cet effort de théorisation s’inscrit dans une perspective sociologique, c’est au niveau du fonctionnement des sociétés – et de la stratégie des acteurs qui les composent – qu’on tentera de comprendre la nature de l’antisémitisme. On s’excusera du caractère abstrait du discours il n’a pas semblé possible d’en faire l’économie. 2 – Cf. Le bouc émissaire, 7e volume du Rameau d’Or, 1935 trad. française, R. Laffont » coll. Bouq ... 3 – Jean-Claude Muller, Pouvoir et rituel. L’idéologie politique des chefferies Rukuba, thèse, Nanter ... 2Lorsqu’on parle de bouc émissaire », on pense bien évidemment au rituel du Jour de l’Expiation Lev. XVI, lorsqu’un bouc, tiré au sort et sur lequel le grand prêtre impose les mains, est emmené à Azazel », au désert, chargé des péchés de la communauté. Dans ce rituel, il y a mise à mort différée ; mais ce sur quoi il faut insister, c’est d’une part sur l’innocence de la victime sur laquelle s’opère le transfert, et d’autre part sur la purification qui en résulte, simultanément, pour le groupe qui se voit ainsi libéré du passé et introduit dans un futur où de nouveaux rapports peuvent s’instaurer. En un sens, on peut dire qu’on a là les caractéristiques essentielles du bouc émissaire sacrificiel, réparateur, que l’on retrouve dans la tradition chrétienne à travers la figure du serviteur souffrant. Mais cette notion, avec des connotations proches, se retrouve dans d’autres traditions, comme l’a montré J. Frazer2. Il s’agit toujours de trouver une solution au problème du mal – soit pour l’écarter, soit pour le réparer – à travers un rituel magique mis en œuvre par la communauté en tant que telle. La désignation puis l’expulsion hors du corps social du porteur du mal permet en même temps, et par contrecoup, la restauration du consensus à l’intérieur du groupe, et donc sa régénération. À la limite, et dans une interprétation cosmique du rituel – comme par exemple Muller3 a pu l’observer chez les Rukuba du Nigeria central, dans un rituel appelé kugo –, c’est le Monde qu’il s’agit de remettre en ordre », de réparer. 4 – C’est la tendance d’Henri Baruk dans Psychiatrie morale expérimentale individuelle et sociale, PU ... 5 – Cf. René Girard, La violence et le sacré, Grasset, 1972 ; Le bouc émissaire, Grasset, 1983 ; La r ... 6 – Pierre-André Taguieff, Sur une argumentation anti-juive de base. L’auto-victimisation du narrat ... 3Même si le rituel s’y prête – par référence à la notion de faute », de péché » –, il faut cependant éviter une interprétation morale, psychologisante, du concept du bouc émissaire4 ; tout autant d’ailleurs que l’interprétation fondamentaliste qui fait du bouc émissaire, à travers la maîtrise de la violence qu’il permet, le fondement du social5. En utilisant le concept de bouc émissaire », on veut signifier qu’on cherche à rendre compte du fonctionnement du social à l’aide de la représentation modèle d’un mécanisme – parmi d’autres possibles – qui permet aux acteurs sociaux de résoudre symboliquement certains problèmes qui se posent à eux, et qu’il leur serait socialement difficile de résoudre autrement. Certes, le choix du bouc émissaire n’est pas entièrement arbitraire – il doit satisfaire à certaines conditions –, mais ce qu’il faut d’abord analyser, c’est le processus même de l’action collective et la croyance sur laquelle elle repose. Il faut comprendre pourquoi les acteurs sociaux ont recours à ce type de stratégie, et, refusant le piège du discours auto-victimaire6, s’intéresser d’abord au bourreau avant d’envisager le rôle de sa victime. 1 – Le fonctionnement d’un système 7 – Jean Piaget, Biologie et connaissance, Gallimard, 1967, p. 243 sq. 8 – W. R. Ashby, Requisite variety and its implication for the control of complex systems », Çybern ... 4On peut considérer que toute société – et tout segment de celle-ci toute organisation formellement définie – est un système qui, dans des conditions normales et optimales de fonctionnement, dispose d’une certaine marge de manœuvre pour répondre à la variabilité des situations. Le système est alors capable de gérer les perturbations de son environnement dans la mesure où celles-ci restent à l’intérieur de certaines limites, il maîtrise différents processus qui lui permettent soit de s’adapter aux perturbations – assimilation et accommodation, au sens de J. Piaget7 –, soit d’apporter une solution aux perturbations elles-mêmes – feedback rééquilibrant, négatif. Un système rigide sera alors un système qui n’accepte de s’adapter qu’à de faibles perturbations, tandis qu’un système souple acceptera une plus grande variabilité. On retrouve là la loi de variété requise » d’Ashby8. Et on peut ajouter ici que si, synchroniquement, il y a des différences entre systèmes, un même système peut, diachroniquement, évoluer, par exemple se rigidifier par épuisement de ses réserves et donc par abaissement de niveau de sa variété propre. 5La question est alors de savoir ce qui se passe lorsque, dans l’environnement d’un système ouvert et du fait tout autant du degré d’anormalité de la perturbation que du degré de rigidité du système, cette limite acceptable est dépassée, soit en nature, soit en amplitude. Dans le premier cas, il s’agit de l’apparition de l’ inconnu » subjectif au sens propre, d’un événement qui n’a encore jamais été expérimenté par le système et pour lequel celui-ci ne dispose pas immédiatement de réponse » adéquate ; dans le second, les réponses disponibles risquent de n’être pas appropriées et leur mise en œuvre ne pas avoir un effet suffisant pour résoudre la crise qui découle de la perturbation. Dans les deux cas, il y a blocage des possibilités inventives, limitation dans l’élaboration des projets, repli sur des positions défensives. À moins d’éclater, ce qui serait proprement contraire à son but qui est de subsister, le système va devoir gérer la perturbation, et, ne disposant pas d’assez de variété pour la gérer comme telle c’est-à-dire y adapter son organisation, il va utiliser un mécanisme réducteur, d’autodéfense et de protection individuelle ou collective, pour ramener la perturbation à quelque chose de connu, de stéréotypé. 9 – Henri Atlan, Entre le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant, Le Seuil, 1979, p. ... 6Ce mécanisme ou processus que H. Atlan9 appelait d’évitement de la crise » transforme le signal qu’est la perturbation en signe – c’est-à-dire qu’il le charge symboliquement et donc affectivement –, en même temps qu’il procède à un changement de plan pour permettre le passage à l’action – et par là favoriser la catharsis. L’apparition d’une perturbation anormale – incident, catastrophe – et des conséquences non souhaitées qui en découlent pour le système, pour son organisation et son fonctionnement, provoquent, chez les acteurs, anxiété et tension. Ces derniers ne peuvent que constater la perturbation c’est une information qui ne contient pas en elle-même son sens et son explication, et est donc proprement incompréhensible ». Mais cela ne peut être satisfaisant pour l’esprit qui cherche à comprendre c’est-à-dire à décoder, ni pour l’action qui a besoin de s’appuyer sur une compréhension – même erronée – des situations. D’où la transformation du signal en signe, passage du plan de la réalité tangible à celui des symboles, abstraits et conventionnels, c’est-à-dire en un rapport, arbitraire et codé, entre signifiant et signifié. Faire signe, c’est donner sens à la perturbation en lui trouvant une cause, réelle ou symbolique, que cette cause soit élaborée pour répondre à la crise elle-même ou, plutôt, que l’on puise dans le stock disponible, dans les modèles culturels dans la mémoire du système, des causes déjà plus ou moins institutionnalisées et ritualisées. 7Dans le cas du bouc émissaire, cette cause est à la fois exogène et individualisée elle est exogène puisqu’elle renvoie à autre chose qu’à la perturbation elle-même et qu’elle court-circuite l’examen des causes réelles – matérielles et/ou mentales – qui sont à l’origine de la perturbation et de sa transformation en crise ; elle est individualisée puisqu’elle fait explicitement appel à la responsabilité sous ses deux aspects de causalité et de volonté d’un être ou d’un groupe. Non seulement l’être et le groupe sont considérés comme étant en mesure de provoquer – d’être à l’origine de – la perturbation, mais encore on leur attribue la volonté de l’avoir engendrée par inadvertance ou par malignité. 2 – Conditions d’acceptation d’un bouc émissaire donné 10 – Cf. Jacques Mélèse, Approche systémique des organisations. Vers une entreprise à complexité humai ... 11 – Une analyse psychanalytique de ce processus a été proposée par Imre Hermann, Psychologie de l’ant ... 12 – Cf. Jean-Léon Beauvois et Robert Joule, Soumission et idéologies. Psychosociologie de la rational ... 8On a donc ici un mode de régulation très spécifique des situations de crise puisqu’il ne s’agit pas, comme dans le cas des feedback classiques, d’une rétroaction informationnelle ou énergétique qui transforme plus ou moins automatiquement une sortie en entrée, mais d’un processus d’action10 dont l’effet est de réduire la tension née de la crise par projection sur un objet » marginalisable11. Il y a refus de modifier l’organisation du système – même si celui-ci tendra, par la suite, à évoluer si la perturbation n’est pas accidentelle – et établissement d’une connexion nouvelle » entre la perturbation et une cause symbolique même si elle est puisée dans la mémoire du système. Quelles que soient les conditions de mise en œuvre de ce processus, qui renvoient au système lui-même, à sa structure et donc au pouvoir qui s’y exerce, le mécanisme du bouc émissaire tient son efficacité régulatrice de lui-même, et parce que les acteurs sociaux acceptent – consciemment ou inconsciemment – cette efficacité. En cela, c’est un processus de rationalisation12 qui permet d’accéder à une cohérence des représentations individuelles et /ou sociales en donnant une explication » apparemment rationnelle à la crise ; un tel processus s’inscrit donc dans une, ou au confluent de plusieurs stratégies essentiellement symboliques. 13 – G. Bonazzi, Pour une sociologie du bouc émissaire dans les organisations complexes, Sociologie du ... 14 – Cf. L. Berkowitz et J. Green, The stimulus qualities of the scapegoat, Journal of abnormal and so ... 9En mettant l’accent sur l’acceptation des acteurs sociaux, condition nécessaire du fonctionnement du processus d’émissarisation, on retrouve le concept de crédibilité » utilisé par G. Bonazzi13. En plus de la visibilité » et de la vulnérabilité », un bouc émissaire devra, pour être socialement crédible, posséder un certain nombre de qualités » dont on pourra faire état dans la quasi-négociation qui mène à sa désignation-acceptation. Dans le cas d’organisations complexes formelles, c’est sa position hiérarchique, c’est-à-dire son rapport au pouvoir, qui apparaît comme la plus importante sa marginalité – personnelle ou occasionnelle – n’étant que seconde, même si elle permet d’accroître la crédibilité du bouc émissaire en lui donnant une certaine visibilité. Dans le cas de systèmes plus vastes, on pourrait penser en suivant R. Girard que c’est la marginalité des victimes qui renforce leur crédibilité. Et le fait que les victimes soient parfois préparées » à leur rôle de victime semble appuyer cette analyse. Mais cette marginalité, étant interprétée en termes de monstruosité, renvoie elle aussi à la notion de pouvoir, non plus de participation au pouvoir au sein d’un ensemble hiérarchique, mais de contre-pouvoir, de pouvoir maléfique qui sert d’explication ultime à la crise elle-même. Peu importe la réalité objective, la différence qui marque » le bouc émissaire ; sa crédibilité s’appuie, dans tous les cas, sur la croyance, le plus souvent non fondée, qu’il détient un pouvoir suffisant pour provoquer la crise, que sa position dans le système lui permet d’agir sur son fonctionnement et de le perturber ; qu’il peut donc être cause et responsable de ce qui advient14. Un bon » bouc émissaire est alors celui pour lequel la croyance en un pouvoir occulte de niveau acceptable est suffisamment répandue dans le système pour que les acteurs consentent à le considérer comme tel. C’est aussi ce qui explique que, selon les sociétés et au sein même d’une société, on peut trouver plusieurs types de bouc émissaire celui qui est bouc émissaire dans une société est celui qui est le plus crédible, compte tenu des modèles culturels et donc du système de croyance qui ont cours dans cette société à un moment donné ; et s’il y a plusieurs boucs émissaires, simultanément ou concurremment, c’est qu’ils remplissent des fonctions distinctes – ils ne sont pas utilisés dans les mêmes contextes – ou que leur degré de crédibilité n’est pas identique pour l’ensemble des acteurs sociaux. 15 – René Girard, La route antique des hommes pervers, Grasset, 1985. 10Mais, en même temps, le bouc émissaire ne peut posséder de pouvoir réel suffisant, car dans ce cas il lui serait possible d’échapper à son rôle. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est préparé, conditionné, afin de n’être pas en mesure de résister efficacement au rôle qu’on lui fait jouer. Si tel était le cas, c’est le mécanisme même du bouc émissaire qui ne pourrait plus fonctionner la résistance de l’éventuel bouc émissaire désigné, comme le montre R. Girard15 en étudiant Le Livre de Job ou encore Antigone de Sophocle, bloque le déroulement du processus et en révèle l’inanité. Pour que le mécanisme victimaire puisse aboutir à son terme – qui est la résolution de la crise au sein de la communauté – il faut que la victime soit dans l’impossibilité volontaire ou contrainte de résister à ce qu’elle subit, qu’elle soit en quelque sorte consentante » au rôle qu’on lui fait jouer, en tout cas qu’elle soit vulnérable. Ainsi, la crédibilité d’un bouc émissaire donné sera fonction à la fois de son absence de pouvoir réel et de la croyance qu’il possède un pouvoir occulte, fantasmé, dont sa marginalité – sa monstruosité – est le signe. 16 – Niel J. Smelser, Theory of collective behaviour, London, 1962. 11Le rôle joué par ce que N. J. Smelser16 appelle les prérequis de la formation et de la diffusion du processus d’émissarisation apparaît comme central dans l’établissement de cette crédibilité – et en constitue en quelque sorte sa plausibilité ». Non seulement l’attitude de autorité » compétente constitue l’un des paramètres à prendre en compte, mais aussi l’assise réelle sur laquelle peut se développer la croyance, d’une part, et des conditions de généralisation de cette croyance, d’autre part. Une croyance, même irrationnelle, ne peut devenir socialement acceptable que si elle repose sur un certain nombre de données factuelles, dont l’interprétation contribue à la croyance. Pour cela, tout clivage ou marquage antérieur à l’apparition de la crise, de même que toute institutionnalisation préalable d’un type de bouc émissaire donné, peut fournir cette base factuelle sur laquelle s’édifie la croyance. On peut ajouter ici, à propos du débat sur l’innocence ou la culpabilité de la victime bouc émissaire, que cette croyance en un pouvoir occulte est d’un autre ordre que ce que la victime est et fait elle-même ; mais que ce qu’elle est et fait – volontairement ou forcée – concourt à la croyance. Ainsi le rôle joué ou tenu par la victime dans la vie réelle peut aider à la formation et à la diffusion de cette croyance, alors que cette victime reste innocente » de ce qui fait l’accusation même sur laquelle se fonde le mécanisme du bouc émissaire. Le caractère stéréotypé et parfois contradictoire de l’accusation en est un indicateur. 17 – J. Gallagher et P. Burke, Scapegoating and leader behaviour, Social Forces, 1974, n°19, p. 481-48 ... 18 – Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, PUF, 1979, p. 121 sq. 12Mais encore faut-il, pour que la croyance ne reste pas au stade du discours et qu’elle puisse engendrer l’action collective, qu’elle ait été répandue à travers le système, afin de devenir une représentation suffisamment commune pour être prégnante. La généralisation de la croyance, sa diffusion à travers le corps social et sa réception comme une évidence non critiquable par le plus grand nombre constituent donc des conditions du passage à l’acte. Tout ce qui facilite cette généralisation, et en particulier la position de pouvoir de celui ou de ceux qui se chargent de la diffusion de la croyance, facilite en même temps la crédibilité sociale du bouc émissaire désigné17. L’autorité et le savoir-faire des diffuseurs », leur style de comportement »18 sont ainsi des conditions qui aident à la généralisation de la croyance, en lui donnant en quelque sorte un aval et en accroissant sa crédibilité. C’est ce qui explique aussi que l’expérience personnelle a peu d’influence sur la croyance, même et surtout si elles sont en contradiction. 19 – Denise Van Caneghem, Agressivité et combativité, PUF, 1978, p. 124. 13La désignation-acceptation d’un bouc émissaire aboutit à la résolution de la crise. Cette résolution s’opère, à travers l’action collective, par catharsis. Comme le remarque D. Van Ganeghem19, il faut distinguer deux formes de catharsis la catharsis d’abréaction qui libère les individus de leur tension affective, et la catharsis d’intégration qui oriente la dynamique personnelle vers d’autres objets en même temps qu’elle élève les seuils de tolérance aux frustrations. Ces deux dimensions sont présentes au sein du processus de résolution de la crise par le mécanisme du bouc émissaire. À la fois, l’action contre le bouc émissaire constitue un moyen pour l’individu de se décharger sur l’autre du potentiel de tension accumulé dans la phase préliminaire où le constat de la crise engendre l’anxiété ; mais aussi, le fait de partager en groupe les mêmes croyances et d’agir en commun contre un bouc émissaire extériorisé par rapport au groupe entraîne une identification qui constitue une réponse à la situation de perte d’identité née de la crise. On peut ajouter qu’il n’est pas nécessaire que les acteurs soient physiquement rassemblés pour que le mécanisme puisse fonctionner il suffit que la croyance soit partagée, d’où l’importance de la propagande. 14Le type de sanction » infligée à la victime tout autant que la possibilité de répétition du rituel formel ou non sont liés à ces deux formes de catharsis et sont à interpréter en fonction des modèles culturels qui ont cours dans le système social considéré. Il n’est pas vrai que le bouc émissaire doive être nécessairement tué – même si c’est là une forme courante de sanction » infligée à un bouc émissaire. Une sanction moins drastique peut être aussi efficace, dans la seule mesure où elle est acceptée par le groupe, et donc crédible pour lui, compte tenu de son système de représentation. Il s’agit de faire en commun catharsis d’intégration une action suffisante pour provoquer la décharge de la tension catharsis d’abréaction en se ménageant la possibilité de refaire la même action ou une autre ayant un effet semblable, si la situation l’exige. Mais il est vrai, comme le remarquait R. Girard, que ce qui est institutionnalisé, ritualisé, risque de s’user mémoire et censure pouvant ici jouer un rôle dans l’usure du rituel, en faisant évoluer les modèles culturels du système, et que pour atteindre un effet semblable il faille soit augmenter la dose », soit rechercher un autre bouc émissaire plus performant, soit encore abandonner le mécanisme lui-même du bouc émissaire pour se résoudre à des changements dans l’organisation du système, afin d’apporter une réponse adéquate à la crise elle-même. 3 – Essai de formalisation 15On peut résumer cette première analyse du mécanisme du bouc émissaire en notant que tout système social comporte plusieurs types d’acteurs. Deux en particulier ont des rôles spécifiques les autorités » qui disposent du monopole du pouvoir de décision à l’intérieur du système même si c’est en relation avec tous les autres acteurs, et les meneurs » qui jouent un rôle dans l’élaboration et la diffusion des représentations socialement acceptables par le groupe, et donc des cadres de références idéologiques à l’intérieur duquel l’action doit nécessairement s’inscrire. Ces deux types d’acteurs peuvent n’en faire qu’un, dans des situations concrètes réelles, mais, leurs rôles n’étant pas identiques, il convient de les distinguer. Dans la mise en œuvre des persécutions antisémites, la position respective de ces deux types d’acteurs – qui occupe le supremum du système ? – est cardinale. Normalement, l’ autorité », qui dispose de la légitimité et du monopole de la violence, est maîtresse du jeu. Ce n’est donc que si elle acquiesce, de son plein gré ou non, à la croyance commune, ou si elle démissionne devant elle, que la stratégie du bouc émissaire pourra être décidée. 16Dans le cas d’une société en situation de fonctionnement anormal, le groupe d’acteurs est soumis à une perturbation quelconque. Dans l’interface entre le système des acteurs et l’environnement, si la perturbation est perçue comme crise », elle est source d’anxiété dont les acteurs vont tenter de réduire les effets. Ces acteurs disposent d’un certain nombre d’informations – souvent incomplètes et même erronées – à la fois sur la structure de leur propre système en particulier sur son agencement en divers éléments et sur les clivages qui le traversent, sur la nature de la perturbation et – en consultant la mémoire du système – sur les solutions qui ont déjà été adoptées si tel est le cas pour résoudre les perturbations identiques ou similaires. Ainsi va s’élaborer, au sein du groupe d’acteurs tout entier, une image ou représentation de la crise qu’il subit, et de la causalité à laquelle elle peut être rattachée. Cette image ou représentation peut être directement puisée dans les modèles culturels du groupe et/ou se former sous l’influence d’un ou de plusieurs acteurs – les meneurs » – qui proposent au groupe leur interprétation de la situation. Pour aboutir à l’adoption par le groupe d’une représentation donnée – d’une croyance socialement acceptable – il faut, d’une part, que celle-ci présente un niveau suffisant de crédibilité, c’est-à-dire qu’elle soit cohérente avec ce que les acteurs perçoivent de la situation globale, et qu’elle leur paraisse suffisamment liée à la crise elle-même ; il faut, d’autre part, qu’elle se soit diffusée dans le groupe afin de devenir la représentation acceptée du plus grand nombre. 17Dans ces conditions peut se dessiner pour le groupe une stratégie d’action qui, à terme, permet de résoudre la crise. Si la stratégie choisie est celle du bouc émissaire, la résolution de la crise s’opère par catharsis – en provoquant à l’intérieur du groupe un mouvement de solidarité, en même temps que se réalise une décharge de tension par le rejet de la victime désignée. À plus long terme, cette stratégie d’action peut réagir feedback à la fois au niveau des modèles culturels et donc sur la mémoire du système en fournissant un exemple d’application du mécanisme du bouc émissaire dans une situation donnée – et, si ce mécanisme a déjà été utilisé, il s’agira d’un exemple supplémentaire qui, selon les conditions, peut jouer ou non un rôle de renforcement, et au niveau de la structuration du système où le mécanisme peut engendrer ou renforcer les clivages qui seront utilisés par la suite comme source de crédibilité. 18Ainsi, le modèle du bouc émissaire permet, nous semble-t-il, d’intégrer dans un ensemble plus complexe plusieurs théories partielles. C’est un modèle du comportement de l’acteur les théories psychologiques et psychanalytiques tirées de l’observation des acteurs permettent d’éclairer le choix-acceptation de ce type de stratégie, à travers les caractéristiques de la personnalité et de l’histoire de chaque acteur. En même temps, le modèle du bouc émissaire fait appel à la notion de modèle culturel de mémoire on peut considérer que les théories idéologiques sont des tentatives d’explication de la formation de ces modèles culturels de cette mémoire, à travers d’une part l’histoire et d’autre part l’élaboration de l’identité du groupe. De plus, la stratégie du bouc émissaire utilise des représentations codées de la victime les théories du discours offrent les outils de décryptage nécessaires. Par ailleurs, la désignation d’un bouc émissaire donné s’appuie sur la réalité des clivages qui traversent le système social, et renvoie donc à l’analyse des contacts entre groupes et de la structure de classes. Enfin, la mise en œuvre d’une stratégie de bouc émissaire a une finalité politique, liée soit à la conquête, soit au maintien d’une position de pouvoir, et relève donc d’une analyse du fonctionnement politique du système, groupe ou société. B – Le cas de l’antisémitisme allemand 20 – Cf. Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi. Histoire d’une psychose collective, Le Seuil, 1971, p ... 21 – Shulamit Volkov, Antisemitism as a cultural code. Reflexion on the history and historiography on ... 19Il est banal de rappeler que le contexte allemand, en ce qui concerne l’antisémitisme, est spécifique présence continue de communautés juives importantes, influence de l’antijudaïsme luthérien, imposition en mars 1812 de l’émancipation à la suite des conquêtes napoléoniennes20. En fait, sur le fond de l’antisémitisme médiéval resté vivace, il y a, tout au long du XIXe siècle en Allemagne, réutilisation et réactualisation des mêmes réflexes pour répondre à la nouvelle situation née de la modernité. Avec le nazisme, il y a à la fois continuité des thèmes et renouvellement des significations21 dans un contexte différent, en particulier du fait de la nature pseudo-religieuse » du régime. Une partie notable de la classe cultivée, en particulier de la classe aristocratique et de la classe moyenne, utilisa l’antisémitisme et l’idée d’une conjuration juive contre l’Allemagne pour rendre compte de la crise morale qui apparaît dès le XIXe siècle et qui va se prolonger et s’exacerber à travers le XXe siècle, la République de Weimar et le IIIe Reich. 1 – L’Allemagne wilhelmienne la crise morale 22 – Pierre Vaydat, Philosophie allemande et ethnocentrisme au commencement du XIXe siècle, Annales du ... 23 – P. G. Pulzer, The rise ofpolitical anti-semitism in Germany and Austria, New York, 1964 ; Richard ... 24 – Hans Rosenberg, Grosse Depression und Bismarckzeit, Berlin, 1967 cité par Saul Friedländer, L’an ... 20L’émergence de la Nation allemande », en effet, à partir d’une conception linguistique et culturelle qui avait été celle de Goethe et de Lessing22, est perçue comme la réalisation d’une potentialité largement mythique puisque définie comme une négation le morcellement de l’Allemagne est vu comme une conséquence de la politique des autres États européens, en particulier de la France. La mise en œuvre du processus d’unification allemande, engagé sous la direction de Bismarck après la victoire de la Prusse sur l’Autriche en 1866 et qui s’accélère après le conflit franco-prussien de 1870 et la création du Reich en 1871, en exacerbant le nationalisme, provoque en fait une crise profonde dont les conséquences politiques et sociales alimenteront les poussées antisémites. Et cela d’autant plus que l’idéologie antisémite va servir d’arme politique, d’abord à travers des partis explicitement antisémites, ensuite par les grands partis établis et à partir de 1879 par le chancelier lui-même23. Il s’agit donc d’une crise d’identité dont l’issue sera nécessairement particulariste, centrée sur la supériorité allemande – recherche d’antériorité, d’authenticité, de pureté – et sur le rejet des ennemis extérieurs et intérieurs à l’Allemagne. Cette crise se trouve encore amplifiée par l’accroissement démographique, qui exerce tout au long du XIXe siècle une forte pression sur l’ensemble du système social, avec en particulier l’apparition d’une classe moyenne urbaine de plus en plus nombreuse ; et par le contexte économique qui est, dans la seconde moitié du XIXe siècle, celui d’un développement industriel extraordinairement accéléré – parce qu’en retard sur celui des autres pays de l’Europe de l’Ouest – et qui n’est pas exempt de soubresauts conjoncturels, comme les deux récessions particulièrement sévères de 1873-1878 et de 1890-189424. 25 – Cités par Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi, Le Seuil, 1971, p. 73. Voir aussi Jean-Pierre ... 21Les conséquences sociales de ces transformations sont immenses remodelage de la hiérarchie sociale elle-même, introduction d’un nouveau système de valeurs conduisant en fait à un nouvel exercice de l’appartenance sociale. La réaction dans les milieux qu’on peut appeler conservateurs » au sens large, mais aussi dans certains milieux de gauche qui condamnaient le développement du capitalisme sauvage, fut alors une très profonde inquiétude sociale et culturelle. Ils en appelaient de ce fait à un nationalisme autoritaire », à un gouvernement qui saurait rétablir l’ordre, et voyaient dans la soumission de l’individu à la communauté nationale » la seule alternative au matérialisme et à l’égoïsme modernes ; et cela d’autant plus facilement que, depuis Luther, la pensée allemande était fortement ancrée dans le principe de l’obéissance aux autorités constituées. Ce nationalisme prit alors une forte connotation raciste puisqu’il était fondé sur l’exaltation de tout ce qui était Allemand », sur le sol et le sang. Lorsque Bockel par exemple écrit que le peuple allemand doit, grâce à l’antisémitisme, apprendre à se sentir à nouveau en tant que race germanique opposé à la race juive », ou lorsque Paul de Lagarde affirme que les Juifs, comme étrangers, empêchent l’achèvement de la mission raciale du peuple allemand »25, ils montrent comment, sous des expressions racistes, les Juifs leur servent de substitut à un sentiment national peu assuré, et que leur expulsion a pour objet de réaliser une homogénéisation artificielle. 22On retrouve ici le processus d’émissarisation qui permet de s’affirmer par la négation de l’autre. Gomme les Espagnols du XVIe siècle, les Allemands du XIXe siècle semblent dans des conditions différentes qui indiquent les limites de l’analogie avoir besoin d’un groupe suffisamment distinct – au moins dans l’imagination populaire – et traditionnellement méprisé comme faire-valoir de leur propre identité. Ils se donnent un bouc émissaire dans le Juif honni afin de suppléer à l’absence des fondements nécessaires à une définition concrète de leur identité nationale. Il s’agit donc bien de la quête d’une identité culturelle, mais définie négativement. Que les Juifs aient loyalement essayé de s’intégrer dans la société qui, légalement, leur avait ouvert ses portes n’entre pas ici en ligne de compte, dans la mesure où ce n’est pas le Juif réel mais le Juif imaginaire – miroir de l’Allemand imaginaire qu’on cherche à élaborer – qui se trouve au fondement du mécanisme. Partant de cette donnée de base que le Juif était dangereux », l’assimilation pouvait même alors être interprétée comme une stratégie d’infiltration qu’il fallait contrer. 2 – L’Allemagne de Weimar l’impuissance de la République 26 – Léon Poliakov, Histoire de L’antisémitisme, IV L’Europe suicidaire, Calmann-Lévy, 1977, p. 350. 23Après la défaite de 1918 et les révolutions qui ont suivi – et où de nombreux Juifs, réels ou imaginaires, jouèrent un rôle qu’on eut tôt fait d’exagérer –, l’établissement de la République de Weimar n’apporta nullement la paix sociale espérée. Dès le début, le gouvernement réformiste libéral dut faire face à des contestations qui affaiblissaient le régime et permirent surtout une agitation de droite que la pseudo-stabilité des années 1924-1929 ne fit qu’occulter temporairement, et que l’élection du maréchal Hindenburg en 1926 accentua. Or cette république tant décriée fut, sans tarder, caractérisée comme une république juive » – de la même manière que les révolutions, celle de Russie réussie, celles manquées d’Allemagne, étaient des révolutions juives ». Pourtant le nombre des politiciens juifs, s’il fut relativement important au moment de la création de la République, fut bien discret au cours des quatorze années de son existence et au sein des dix-neuf ministères qu’elle compta26. Ils furent finalement moins nombreux sous Weimar que sous le Second Reich. 27 – Cf. Michael N. Dobkowski et Isidor Wallimann éd., Towards the Holocaust. The social and economi ... 28 – Walter Laqueur, Weimar, a cultural history, 1918-1933, London, 1974. 24Plusieurs éléments permirent d’accréditer cette assimilation la participation de Walter Rathenau au gouvernement ses assassins croyaient qu’il était l’un des Sages de Sion, dont les Protocoles étaient censés être le programme27 ; la part prise par un certain nombre de Juifs, en particulier par des hommes comme Krauss à Vienne, Tucholsky à Berlin, à la vie culturelle de Weimar28. Ainsi, la haine des milieux conservateurs se trouva-t-elle exacerbée par l’impression que les Juifs, en général, tiraient parti de la position qui leur avait été offerte par la République pour attaquer l’Allemagne ou la mettre en péril. Par ailleurs, le contact pendant la guerre de l’armée allemande avec les Juifs de l’Est, essentiellement du schtetl polonais, avait fait découvrir une population traditionnelle, à l’aspect extérieur étrange, souvent misérable, très différente des Juifs assimilés d’Allemagne. Cette rencontre avec le Juif conforme à la caricature antisémite sera pour beaucoup une révélation, en même temps que la démonstration de l’authenticité de cette caricature. Cette impression sera encore renforcée, au cours de la guerre, par l’arrivée de 35 à 40 000 travailleurs juifs polonais transférés dans le Reich. Si la proportion des Juifs dans la population allemande est plus que modeste – 0,9 % en 1925, 0,9 % en 1933 –, leur concentration dans certaines régions et dans certaines villes, et le maintien d’une immigration de Juifs de l’Est accentuèrent leur visibilité, rendant par là possible la propagande antisémite. Ainsi la transformation de la question sociale » en une question juive », l’attribution des malheurs de l’Allemagne à la présence juive et à son activité anti-allemande, qui avaient déjà été suggérées avant la guerre, vont devenir dans les premières années de la République de Weimar une évidence pour une fraction de plus en plus importante de la population. 29 – Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La conspiration mondiale juive et les Protocoles des Sages de ... 30 – Pierre Sorlin, L’antisémitisme allemand, Flammarion, 1969, p. 68. 31 – Cf. Norman Cohn, Histoire d’un mythe, Gallimard, 1967, p. 137. 25D’autant plus que la légende du coup de poignard dans le dos », formulée dès la fin de la guerre par le maréchal Hindenburg pour rendre compte de la défaite, se trouve rapidement accéder au statut de credo officiel. La théorie du complot, dans le contexte de la crise économique, pouvait alors se développer sans résistance, d’autant plus que la simultanéité des mouvements révolutionnaires en Russie 1917 en Allemagne 1919, en Autriche et en Hongrie, encourageait cette vision d’un animateur unique poursuivant un seul but. C’est en 1920 que les Protocoles des Sages de Sion furent traduits en allemand29. On peut-être surpris de l’audience que ce programme délirant de conquête mondiale, exposé par un Juif inconnu, devant un public indéterminé, dans des circonstances obscures et sans lieu défini »30 a rencontré – et rencontre toujours – dans le public. Mais sa fonction sociale dans l’Allemagne en crise, où il sert à déculpabiliser et à rassurer toute une partie de la population, depuis l’armée jusqu’aux classes moyennes dont les positions politiques et économiques risquaient d’être déstabilisées, explique qu’un tel faux ait pu paraître conforme à la réalité imaginée ; d’autant plus que ce type de littérature, donnant bonne conscience à ceux qui cherchaient à rejeter sur d’autres la responsabilité de leur propre incapacité, s’était abondamment multiplié31. 26Par de multiples aspects, politiques, économiques, sociologiques, idéologiques, l’antisémitisme sert, à l’époque de la République de Weimar, de dénominateur commun à tous ceux qui, pour des raisons diverses, s’opposent à la société qui se construit sous l’égide, du libéralisme. L’anticapitalisme de droite et de gauche et l’antiparlementarisme des nostalgiques de la monarchie se retrouvaient sur ce seul terrain commun possible avec tous ceux que la guerre, la défaite et la crise avaient ébranlés et même angoissés ; mais tant qu’ils restaient dispersés au sein de multiples groupes et fractions que tout le reste séparait, tant que leurs intérêts profonds divergeaient et qu’aucun mouvement de rassemblement ou qu’aucun fédérateur ne venait contrebalancer, cet antisémitisme violent, généralement verbal et théorique, mais à l’occasion physique, ne pouvait dépasser un certain seuil ; et peut-être même ne le cherchaient-ils pas. Les Juifs étaient d’excellents boucs émissaires pour l’Allemagne, non parce que leur exclusion permettait de résoudre efficacement les problèmes qui se posaient à elle – et qui, comme l’instabilité économique, l’impuissance politique, la désorganisation sociale et l’inquiétude morale, ne faisaient que devenir de plus en plus aigus d’autant plus qu’on refusa, de fait, aux rares hommes qui tentèrent quelque chose les moyens de leur politique. Les Juifs étaient d’excellents boucs émissaires parce qu’ils évitaient aux Allemands de s’attaquer à cette tâche, et par l’accusation de complot apportaient l’explication, satisfaisante pour beaucoup, du désastre où ils étaient plongés. Mais ce sentiment diffus de la responsabilité » juive, politiquement efficace dans une conjoncture particulière, restait instable ; pour conduire à une persécution systématique, il fut nécessaire de le théoriser de manière cohérente et de l’organiser au sein d’une stratégie d’exercice du pouvoir ce fut l’œuvre d’Hitler et du nazisme. 3 – L’Allemagne nazie la perversion des normes dans l’indifférence 32 – Cf. Eberhard Jackel, Hitler idéologue, Calmann-Lévy, 1973. Saul Friedländer, L’extermination des ... 27Pour Hitler, le Juif est le symbole ou plus exactement la réalité même du Mal dans la société, contre-idéal social et révélateur et cause des désordres qu’il faut réparer. Cette conception s’organise à trois niveaux métaphysique, biologique et microbien, et constitue la synthèse modernisée du vieux fond mythique hérité du Moyen Âge. Au niveau métaphysique, le Juif est un principe », le principe du mal destructeur tel qu’il a été révélé par les Protocoles des Sages de Sion Hitler ne doute pas de leur authenticité. Aux Juifs est attribué un projet de domination mondiale par le capitalisme, ils détruisent l’organisation économique de la société et prolétarisent les masses, et par la révolution ils peuvent en même temps confisquer le pouvoir à leur profit, déstabiliser la religion et la morale et étendre leur tyrannie32. Ce premier niveau, métaphysique, est articulé sur le second niveau, biologique, puisque c’est en tant qu’ils constituent une race » que les Juifs se dressent contre les autres races et qu’ils cherchent à les anéantir. Pour Hitler, la race juive, incapable de productions culturelles supérieures, intellectuelles et artistiques, et qui n’a jamais fondé de civilisation, s’est, au cours de l’histoire, efforcée d’accaparer ou de détruire l’œuvre créatrice des autres races, de vivre à leur dépens, en parasite social. En cela, elle n’est pas seulement une race inférieure, elle est l’anti-race, non humaine par nature. La laideur physique et la corruption morale absolue qui la caractérisent ne sont que des conséquences de sa non-humanité. Mais, ce faisant, on glisse au troisième niveau, microbien, car cette anti-race est conçue comme un foyer d’infection pour la société tout entière, et ce qui était métaphore dans la thèse raciale devient réalité dans la thèse bactériologique. Le parasite social de la version raciale devient un bacille, un virus réellement actif au sein de l’organisme social, propagateur de maladie, corrupteur sexuel, non pas seulement symbole mais agent de la destruction incessante de la vie, souillure et impureté. 33 – Pierre-André Taguieff, Sur une argumentation anti-juive de base. L’auto-victimation du narrateur, ... 28L’architecture cohérente de ces trois niveaux permet à la fois de structurer les fantasmes antisémites traditionnels en les intégrant dans une vision organiciste de la société, où les principes du Bien et du Mal, de la Santé et de la Maladie, se livrent une guerre inexpiable dont l’issue ne peut être que la régénération ou l’anéantissement total ; et de rendre compte du passage de l’exclusion à l’extermination, c’est-à-dire de la mise en œuvre d’une politique prophylactique en vue de l’éradication du principe du mal et la régénération de la société. La théorie du complot, poussée à son extrême limite, bascule dans la Solution finale. Ici, le discours » est caractéristique du renversement victimaire qui est bien la constante de l’antisémitisme33 le bourreau tient sur la victime qu’il s’apprête à sacrifier un langage médicalisé qui se veut celui, objectif, d’un observateur extérieur. 34 – Hannah Arendt, The origins of totalitärianism, 1951 tr. française dans Le système totalitaire, L ... 29Ce discours et cette idéologie ont un aspect instrumental, puisqu’ils permettent de créer les repoussoirs nécessaires à la mobilisation, en vue de l’exercice du pouvoir et pour répondre à la crise identitaire. Mais, et c’est ce qui rend difficile l’analyse de l’antisémitisme nazi, celui-ci n’est pas qu’instrumental, et il n’est pas instrumental de la même manière pour chacun des acteurs sociaux. Contrairement à ce que pensait H. Arendt34, à savoir que dans un régime totalitaire l’idéologie est de moins en moins partagée lorsqu’on monte dans la hiérarchie du pouvoir, dans le cas hitlérien, l’idéologie apparaît comme prioritaire au centre du pouvoir et de plus en plus diluée lorsqu’on s’en éloigne. En ce sens, l’idéologie nazie, et l’antisémitisme qui en est le noyau, n’a pas le rôle fonctionnel qu’on lui prête dans l’analyse des régimes totalitaires – celui de leurrer les masses –, mais renvoie au processus du bouc émissaire où tous les acteurs, de manière différenciée certes, sont convaincus à la fois de la réalité du danger qu’exerce, à l’intérieur du corps social, l’individu ou le groupe qui porte les marques stéréotypées du bouc émissaire, et de la possibilité de la régénération du corps social par l’expulsion de cet individu ou de ce groupe. Si ce processus peut être mis en œuvre par une autorité cynique » qui ne croit pas elle-même en la culpabilité de la victime, ce même processus peut être mis en œuvre – et c’est le cas du nazisme – par des dirigeants convaincus à la fois de la réalité de la culpabilité de la victime et de l’efficacité de l’expulsion. Dans le cas nazi, la stratégie du bouc émissaire, interprétée à l’intérieur d’une vaste vision cosmique, forme moderne de la guerre entre Gog et Magog, où la Race des Seigneurs affronte la race des sous-hommes, a pour fonction, explicite, la régénération de l’humanité, d’une façon analogique à ce qu’exprimaient les participants rukuba au kugo, et a pour fonction implicite un transfert de responsabilité. 35 – S. A. Shentoub, Le rôle des expériences de la vie quotidienne dans la structuration des préjugés ... 30L’antisémitisme est présenté, au fur et à mesure que le nouveau régime s’installe et se heurte aux difficultés, comme le moyen efficace, nécessaire et suffisant pour réaliser la régénération de l’Allemagne et de toute l’humanité. Pour cela, il évolue en fonction même des situations et des événements, se radicalisant en même temps que la crise s’amplifie. Il fonctionne à partir du centre et, parce que ce centre est dans une position de pouvoir, celui-ci est en mesure à la fois de disposer des techniques nécessaires pour répandre son idéologie propre, et d’attirer et de s’attacher – y compris idéologiquement – ceux avec lesquels il accepte » de partager le pouvoir et qui lui sont nécessaires pour exercer ce pouvoir. Un effort gigantesque de propagande a été réalisé afin que l’antisémitisme devienne un véritable facteur de la politique extérieure et intérieure du régime »35. Par là s’est opéré, dans le modèle culturel des Allemands soumis au régime nazi, une réactivation des légendes et des mythes du passé, dont la traduction affective, dans des expériences socialement vécues par les individus, devient automatique. 31Que Hitler, pour des raisons qui renvoient aussi bien à sa propre histoire qu’à sa personnalité, ait été convaincu que les Juifs » constituaient le danger le plus grave auquel les Allemands-aryens étaient affrontés, cela ne fait aucun doute. La permanence de ses positions anti-juives, dans ses écrits et ses discours, et jusqu’à sa dernière déclaration, en est la preuve. Mais au niveau du fonctionnement du régime, caractérisé à la fois par des traits totalitaires principe du Führer et des traits anarchiques, l’antisémitisme a une autre fonction. Au début, lorsqu’il n’était pas virulent et qu’il ne présentait pas, pour certains, une priorité, il pouvait, avec d’autres sentiments comme l’antimarxisme, constituer le dénominateur commun du système dans son entier, le ciment permettant à l’ensemble de subsister. La pression des antisémites convaincus, et d’Hitler au premier chef, suffisait à donner au combat contre les Juifs une place à la fois centrale et nécessaire. Pour ceux qui n’étaient pas eux-mêmes des antisémites convaincus, accepter l’antisémitisme du système, surtout dans les premières phases lorsqu’il était encore convenable », leur permettait de se maintenir dans la position qu’ils occupaient. Mais la compétition entre les antisémites convaincus et leur rôle central dans le système, de même que l’extension de l’antisémitisme par l’éducation et la propagande, ne pouvaient qu’entraîner sa radicalisation, et cela d’autant que les conditions générales devenaient de plus en plus difficiles. 36 – Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi, Le Seuil, 1971, p. 195. 37 – Rita Thalmann, L’antisémitisme en Europe occidentale et les réactions face aux persécutions nazie ... 38 – Cf. Arthur Morse, Pendant que six millions de Juifs mouraient, R. Laffont, 1968. On consultera au ... 32Cette radicalisation progressive s’explique par deux ordres de faits, ce qui permet de penser que la solution » de la question juive, voulue dès l’origine, n’a pas d’abord été conçue comme une extermination ». Il n’est pas vrai que le bouc émissaire doive nécessairement être tué » pour que le mécanisme puisse fonctionner. Il doit seulement subir une sanction » qui soit à la mesure de la culpabilité » qu’on lui prête, et lui interdise à l’avenir de mettre en danger » la société. Dans cette perspective, l’expulsion des Juifs d’Allemagne puis d’Autriche, que les nazis tentèrent d’organiser avant la guerre, pouvait paraître comme la mesure adéquate à la crise, puisque celle-ci était attribuée à la présence des Juifs et à leurs agissements dans le corps social. Mais déjà certains nazis faisaient remarquer que purifier l’Allemagne par l’émigration, c’est en même temps renforcer la menace extérieure contre l’Allemagne, les Juifs expulsés venant grossir les rangs des ennemis au-dehors36. Cette solution ne put cependant être réalisée à une échelle suffisante, non pas du fait de l’Allemagne, mais du fait des autres nations qui s’opposèrent, progressivement mais de manière non équivoque, à l’immigration. Dès l’automne 1933, dans le cadre de la sdn, lors des discussions au sujet de la nomination d’un haut-commissaire pour les réfugiés, les réticences se firent jour chez les délégués des différents gouvernements37 ; et la Conférence d’Évian, tenue en 1938, en fit la démonstration éclatante38. Le problème, pour les nazis, était alors soit mais ce n’est qu’une hypothèse d’école abandonner l’idée de punir » les Juifs – ce qui aurait signifié, compte tenu du seuil atteint par l’antisémitisme à la fin des années 30, remettre en question le régime lui-même –, soit, par une fuite en avant, adopter une solution plus radicale. D’autant plus que la guerre, victorieuse dans sa première phase, avait eu pour conséquence d’inclure sous domination nazie une population juive importante en Pologne, dans les Pays baltes et en Europe centrale. Le problème du traitement » à appliquer à cette population se posait donc dans des termes nouveaux. 39 – Lucie Dawidowicz, Guerre contre les Juifs, 1933-1945, Hachette, 1977. 40 – Eberhard Jackel, Hitler idéologue, Calmann-Lévy, 1973, p. 83. 41 – Mein Kampf, Éditions latines, 1934, p. 71. 42 – Eberhard Jackel, Hitler idéologue, Calmann-Lévy, 1973, p. 88. 33Le second élément qui pousse à la radicalisation est précisément la guerre. D’abord parce que dans l’idéologie nazie la guerre était conçue comme une épreuve de régénération, l’occasion de prouver la supériorité de la Race des Seigneurs et sa capacité de se soumettre les autres races de sous-hommes, en élargissant son espace vital. La mythologie nazie donnait à la guerre une fonction grandiose, qui devait renforcer l’effet de mobilisation sociale de toute guerre. Mais cette guerre-là avait aussi, dans la pensée d’Hitler, l’objectif de révéler le caractère proprement eschatologique du combat qu’il avait engagé contre les Juifs. Cette guerre était vraiment une guerre contre les Juifs »39, non pas uniquement, comme il le prophétisait » devant le Reichstag le 30 janvier 1939, parce qu’il accusait la juiverie internationale » de précipiter les peuples dans une guerre mondiale »40 et donc parce qu’il fallait trouver un responsable des massacres qui se préparaient ; mais aussi parce que deux mondes s’y affrontaient, le monde de Dieu et le monde de Satan, et parce que si le Juif gagne, avec ses alliés marxistes, contre les peuples de cette terre, alors sa couronne sera la couronne mortuaire de l’humanité, et la planète ira déserte à travers l’éther comme il y a des millénaires »41. La guerre, par les transformations qu’elle entraîne dans les mentalités et les comportements, et par la levée d’un certain nombre de censures normalement présentes dans les sociétés civilisées, permet la réalisation de ce projet démentiel anéantir tout un peuple auquel on attribue un rôle démoniaque. L’extermination des Juifs faisait partie de la guerre »42 43 – Cf. Martin Broszat, L’État hitlérien. Les origines et l’évolution des structures du Troisième Rei ... 34Ainsi, l’antisémitisme nazi constitue-t-il une application de la stratégie du bouc émissaire sans contrôle et sans contre-pouvoirs, et même faisant fi des intérêts les plus fondamentaux de l’Allemagne. Cette situation est caractérisée par la confusion des meneurs » et des autorités », du fait de l’accession des premiers aux centres du pouvoir qui constituent les positions réservées des seconds. Il n’y a plus séparation des élites mais homogénéisation, autour d’une personnalité charismatique qui pervertit les normes du pouvoir43. La stratégie du bouc émissaire est alors à la fois instrumentale et expressive, pouvant passer successivement ou simultanément sur l’un ou l’autre de ces plans. Maniée avec une grande habileté tactique par Hitler et les nazis, elle a pu être occultée lorsqu’elle risquait de s’avérer politiquement négative au moment de la prise de pouvoir. Elle a été mise en œuvre progressivement à la fois parce que les moyens n’avaient pas été arrêtés d’avance et parce que cette tactique permettait de désarmer les éventuelles oppositions ; en même temps, tout était fait, par le canal de la propagande, pour réunir les conditions de son efficacité. Elle a été enfin poursuivie au-delà de toute limite dans le contexte particulier du conflit mondial, parce qu’elle répondait à la vision proprement délirante d’une guerre de races dont Hitler avait fait, dès l’origine, le fondement de son programme. Haut de page Notes 1 – C’était la position, lors de la soutenance, de l’historien israélien Saul Friedländer. On retrouvera cette opposition aussi bien chez Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme Calmann-Lévy, 1973, p. 28-31, que chez Colette Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel Mouton, 1972, p. 206. Plus récemment, on la retrouve explicitement chez des auteurs comme Denis Prager et Joseph Telushkin, Why the Jews? The reason for antisemitism New York, 1983, p. 154-157, ou Evelyne Gutman, La question de l’enjeu dans l’antisémitisme nazi Connexions, 1987, n°48, p. 27-48. Il est vrai, comme le remarquait déjà Otto Fenichel en 1946 dans Ernest Simmel, Antisemitism, a social disease, p. 14 et comme G. Bonazzi en faisait encore la constatation Pour une sociologie du bouc émissaire dans les organisations complexes, Sociologie de travail, 1980, n°3, p. 300, que la théorie » du concept de bouc émissaire n’avait pas été faite. C’est, entre autres, ce que nous avons tenté dans notre thèse. 2 – Cf. Le bouc émissaire, 7e volume du Rameau d’Or, 1935 trad. française, R. Laffont » coll. Bouquins », t. III, 1983, p. 421-674. 3 – Jean-Claude Muller, Pouvoir et rituel. L’idéologie politique des chefferies Rukuba, thèse, Nanterre, 1978. Cf., du même, La royauté divine chez les Rukuba, L’Homme, 1975, 11, n°1, p. 5-27. 4 – C’est la tendance d’Henri Baruk dans Psychiatrie morale expérimentale individuelle et sociale, PUF, 1945 2e éd. 1950, p. 256-259. 5 – Cf. René Girard, La violence et le sacré, Grasset, 1972 ; Le bouc émissaire, Grasset, 1983 ; La route antique des hommes pervers, Grasset, 1985. À propos de René Girard, on consultera avantageusement René Girard et le problème du mal, Grasset, 1982, et Violence et vérité. Autour de René Girard Colloque de Cerisy, Grasset, 1985. 6 – Pierre-André Taguieff, Sur une argumentation anti-juive de base. L’auto-victimisation du narrateur », Sens, 1983, n°7, p. 133-154. 7 – Jean Piaget, Biologie et connaissance, Gallimard, 1967, p. 243 sq. 8 – W. R. Ashby, Requisite variety and its implication for the control of complex systems », Çybernetka, 1958, 1, n°2. 9 – Henri Atlan, Entre le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant, Le Seuil, 1979, p. 92. 10 – Cf. Jacques Mélèse, Approche systémique des organisations. Vers une entreprise à complexité humaine, Éd. Hommes et Techniques, 1979, p. 28-31. 11 – Une analyse psychanalytique de ce processus a été proposée par Imre Hermann, Psychologie de l’antisémitisme tr. du hongrois, Éd. de l’Éclat, 1986. Ce texte, qui date de 1945 – mais fut écrit en 1943 ou 1944 –, est complété par un texte du même auteur, La préférence pour les marges en tant que processus primaire » 1923, qui explicite une théorie de l’opposition centre/périphérie. 12 – Cf. Jean-Léon Beauvois et Robert Joule, Soumission et idéologies. Psychosociologie de la rationalisation, PUF 1981, p. 155 sq., qui renvoient à Léon Festinger, A theory of cognitive dissonance, Standford, 1957. Voir aussi Léon Festinger et al., Conflict, decision and dissonance, London, 1964. 13 – G. Bonazzi, Pour une sociologie du bouc émissaire dans les organisations complexes, Sociologie du travail, 1980, n°3, p. 300-323. 14 – Cf. L. Berkowitz et J. Green, The stimulus qualities of the scapegoat, Journal of abnormal and social psychology, 1962, 64, n°2, p. 293-301. 15 – René Girard, La route antique des hommes pervers, Grasset, 1985. 16 – Niel J. Smelser, Theory of collective behaviour, London, 1962. 17 – J. Gallagher et P. Burke, Scapegoating and leader behaviour, Social Forces, 1974, n°19, p. 481-488. 18 – Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, PUF, 1979, p. 121 sq. 19 – Denise Van Caneghem, Agressivité et combativité, PUF, 1978, p. 124. 20 – Cf. Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi. Histoire d’une psychose collective, Le Seuil, 1971, p. 53 sq. Voir aussi Pierre Sorlin, L’antisémitisme allemand, Flammarion, 1969. 21 – Shulamit Volkov, Antisemitism as a cultural code. Reflexion on the history and historiography on antisemitism in Imperial Germany, Year book of the Leo Baeck Institut, 1978, n°23, p. 25-46. 22 – Pierre Vaydat, Philosophie allemande et ethnocentrisme au commencement du XIXe siècle, Annales du CESERE, 1978, n°1, p. 66. 23 – P. G. Pulzer, The rise ofpolitical anti-semitism in Germany and Austria, New York, 1964 ; Richard S. Levy, The downfall of the anti-semitic political parties in Imperial Germany, New Haven, 1975 ; Uriel Tal, Christians and Jews in Germany. Religion, politics and ideology in the Second Reich, 1870-1914, Gornell Univ., 1975. 24 – Hans Rosenberg, Grosse Depression und Bismarckzeit, Berlin, 1967 cité par Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi, Le Seuil, 1971, p. 65. 25 – Cités par Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi, Le Seuil, 1971, p. 73. Voir aussi Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Hermann, 1973. 26 – Léon Poliakov, Histoire de L’antisémitisme, IV L’Europe suicidaire, Calmann-Lévy, 1977, p. 350. 27 – Cf. Michael N. Dobkowski et Isidor Wallimann éd., Towards the Holocaust. The social and economic collapse qf Weimar Republic, Greenwood Press, 1983. 28 – Walter Laqueur, Weimar, a cultural history, 1918-1933, London, 1974. 29 – Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La conspiration mondiale juive et les Protocoles des Sages de Sion », Gallimard, 1967, p. 134 sq. qui précise qu’avant 1933 plus de 33 éditions des Protocoles avaient vu le jour en Allemagne, sans compter les abrégés et les commentaires. 30 – Pierre Sorlin, L’antisémitisme allemand, Flammarion, 1969, p. 68. 31 – Cf. Norman Cohn, Histoire d’un mythe, Gallimard, 1967, p. 137. 32 – Cf. Eberhard Jackel, Hitler idéologue, Calmann-Lévy, 1973. Saul Friedländer, L’extermination des Juifs d’Europe pour une étude historique globale, Revue des Études juives, 1976, 135, n°1-3, p. 113-144. On retrouvera ces thèmes dans certaines contributions, en particulier celle de E. Jackel lui-même, au Colloque de l’École des Hautes Études en Sciences sociales publié sous le titre L’Allemagne nazi et le génocide juif, co-édition Hautes Études, Gallimard, Le Seuil, 1985. 33 – Pierre-André Taguieff, Sur une argumentation anti-juive de base. L’auto-victimation du narrateur, Sens, 1983, n°7, p. 133-154. 34 – Hannah Arendt, The origins of totalitärianism, 1951 tr. française dans Le système totalitaire, Le Seuil, 1972. Voir aussi Saul Friedländer, De l’antisémitisme à l’extermination. Esquisse historiographique, Le Débat, 1982, n°21, p. 131-150. 35 – S. A. Shentoub, Le rôle des expériences de la vie quotidienne dans la structuration des préjugés de l’antisémitisme nazi, Les Temps modernes, 1953, 9, n°2, p. 9. 36 – Saul Friedländer, L’antisémitisme nazi, Le Seuil, 1971, p. 195. 37 – Rita Thalmann, L’antisémitisme en Europe occidentale et les réactions face aux persécutions nazies pendant les années trente, L’Allemagne nazi et le génocide juif, co-édition Hautes Études, Gallimard, Le Seuil, 1985, p. 141-143. 38 – Cf. Arthur Morse, Pendant que six millions de Juifs mouraient, R. Laffont, 1968. On consultera aussi Eliahu Ben Elissar, La diplomatie du IIIe Reich et les Juifs, Julliard, 1969, chap. III et chap. VIII. 39 – Lucie Dawidowicz, Guerre contre les Juifs, 1933-1945, Hachette, 1977. 40 – Eberhard Jackel, Hitler idéologue, Calmann-Lévy, 1973, p. 83. 41 – Mein Kampf, Éditions latines, 1934, p. 71. 42 – Eberhard Jackel, Hitler idéologue, Calmann-Lévy, 1973, p. 88. 43 – Cf. Martin Broszat, L’État hitlérien. Les origines et l’évolution des structures du Troisième Reich, Fayard, 1985. Voir aussi Stern, Hitler. Le Führer et le peuple, Flammarion, de page Pour citer cet article Référence papier Yves Chevalier, Le modèle du bouc émissaire l’exemple de l’antisémitisme allemand », Germanica, 2 1987, 3-24. Référence électronique Yves Chevalier, Le modèle du bouc émissaire l’exemple de l’antisémitisme allemand », Germanica [En ligne], 2 1987, mis en ligne le 13 février 2015, consulté le 22 août 2022. URL ; DOI de page Droits d’auteur Tous droits réservésHaut de page Nous pouvons faire le constat que notre monde est rempli de violence et que nous éprouvons des difficultés à vivre paisiblement. L’homme a en lui une dose de violence qui prend malheureusement souvent le dessus… Comment cela se fait-il ? Dans cet article, nous allons partir de l’hypothèse qu’une grande partie de cette violence est liée à la peur de ne pas exister » et que cela peut expliquer en partie le mécanisme du bouc-émissaire. Pour illustrer cela, prenons un exemple bien concret si on met 2 jeunes enfants dans une pièce avec uniquement 2 jouets, exactement les mêmes ; Que va-t-il se passer ? Après un petit temps d’observation, on peut constater que chacun des 2 enfants va vouloir jouer avec le même jouet et que cela va se terminer inévitablement dans des pleurs et des cris… Ces deux enfants expriment à leur manière un problème fondamental auquel nous sommes tous confrontés en chacun de nous, existe confusément mais ontologiquement la peur de ne pas être. Cette peur est ontologique car elle est constitutive de ce que nous sommes. Elle se situe au plus profond de notre être. Pour avoir l’impression d’avoir une place et d’exister, on va vouloir posséder ce que l’autre a. Quand le premier enfant a saisi un des deux jouets, le deuxième a perçu confusément ceci L’autre a un objet, il possède cet objet. L’autre EST puisqu’il a ce que moi je n’ai pas. Il existe Si je veux ÊTRE moi aussi, je dois avoir le jouet qu’il a Donc, je dois avoir ce qu’il a, comme cela, moi aussi, je serai… Cela peut paraître simpliste, mais ce mécanisme, cette peur de ne pas être est ancrée en chacun de nous peur de ne pas être considéré, peur de ne pas être regardé, peur de ne pas être apprécié, peur de perdre, … Toutes des peurs qui font partie de cette peur plus générale qui est la peur de ne pas être et qui amène beaucoup de souffrance. La majorité de nos blessures viennent de là et se manifestent quand on a l’impression de ne pas avoir de place, qu’on ne nous écoute pas, qu’on ne tient pas compte de notre avis ou qu’on vaut moins que les autres. On vit cela partout et à tous les niveaux dans notre famille, avec son conjoint et/ou ses enfants, au travail, avec des amis, etc. Une solution à cette peur de ne pas être » = avoir, pour mieux exister[1] Face à cette pauvreté d’être », on va chercher à imiter les autres. On va chercher à AVOIR la même chose qu’eux afin d’être reconnu ». On rentre dans du désir mimétique, comme l’exprime R. Girard ce qui compte, ce n’est pas tant l’objet qui est désiré mais plutôt le fait d’imiter le désir d’un autre. Tout désir est vu alors comme l’imitation du désir d’un autre. Et c’est ainsi qu’on va essayer que notre maison soit plus belle que celle de notre voisin; on va essayer d’avoir une plus belle voiture, un job où on gagne plus d’argent, un GSM plus performant, la femme de l’autre, etc. De TOUS CONTRE TOUS, on passe à TOUS CONTRE UN Et si deux individus désirent la même chose, il est certain qu’il y en aura bientôt un troisième, un quatrième, … qui voudront également la même chose. Nous percevons facilement la violence qui peut alors s’installer, alors que l’objet en lui-même est vite oublié. Les rivalités mimétiques se propagent, et le conflit mimétique se transforme en antagonisme généralisé où apparaît la jalousie, l’envie, la haine. Nous arrivons donc à une situation du TOUS CONTRE TOUS » où chacun s’oppose à chacun pour pouvoir affirmer son existence! Cette situation n’est tolérable ni acceptable pour personne, même pour le plus fort car on n’est jamais sûr de rester le plus fort et on a quand même besoin des autres. Ce n’est pas possible de vivre dans une violence perpétuelle non canalisée. Alors LA solution naturelle au tous contre tous », c’est le tous contre un ». C’est la seule solution qui existe pour que la paix revienne. Sans cela, c’est la destruction du groupe ! Le mécanisme du bouc-émissaire Si dans un groupe, dans la société, je peux charger une personne unique de tous les maux et l’exclure, si je peux convaincre les autres que tous nos problèmes viennent de cette seule personne, la violence va se réduire car le groupe va s’unir autour de cette personne. Ce mécanisme du bouc-émissaire est un mythe fondateur de notre façon de penser et d’agir! Faire porter par une seule personne la cause de tous nos soucis est une façon de faire que nous utilisons tout le temps Bart De Wever n’est-il pas la cause de tous les problèmes flamands/francophones ? Si Dieu existait, il n’y aurait pas tant de misère dans le monde !» Si nous avons tant de problèmes dans notre famille, n’est-ce pas à cause de tel enfant qui est insupportable et qui vit une crise d’adolescence qui fout en l’air toute la famille ? Si l’ambiance au travail est si mauvaise, n’est-ce pas à cause de mon patron qui est un véritable tyran et qui nous fait bosser comme des malades? Si je ne me sens pas heureuse, c’est à cause de mon conjoint qui travaille comme un fou et qui fait que je dois tout porter toute seule et que je n’en peux plus. Trouver un bouc-émissaire est une solution assez efficace car cela va permettre de retrouver la paix, de réunir le groupe, de recréer de la cohésion sociale. Chacun peut à nouveau exister dans le groupe, y trouver une place. De plus, comme cela semble résoudre le problème, n’est-ce pas la preuve que la personne désignée était bien la responsable de tous nos problèmes ??? Et bien NON ! Cette solution est insatisfaisante car le bouc émissaire n’est pas le responsable de tous les maux… Il n’est pas responsable de ma difficulté à EXISTER, de mon désir d’imiter le désir de l’autre. Cette solution est donc temporaire au bout d’un certain temps, les problèmes vont revenir et il faudra donc choisir une nouvelle victime ! Chacun va avoir peur de devenir le bouc émissaire. Du coup, chacun va rentrer dans le rang, pour éviter d’être identifié comme source des maux de la communauté. Au lieu de supprimer cette peur de ne pas être, la solution du bouc émissaire va juste renforcer » chacun à accepter de ne pas être, ou de ne pas être » de trop, de peur qu’en réclamant d’être on ne devienne… bouc émissaire ! Le problème de base reste donc entier. Nos ados illustrent parfaitement tout cela, bien sûr. Ils vivent dans la peur de l’exclusion et pour ÊTRE, ils se fondent dans la masse, s’habillant de la même façon, écoutant la même musique, jouant aux mêmes jeux vidéo, etc. Comment sortir de ce mécanisme ? Une première chose est bien sûr, de se rendre compte de tout cela, de réaliser notre soif d’exister et notre besoin d’avoir une place ! Il nous faut également prendre conscience que nos blessures d’enfance en particulier accentuent cette peur de ne pas être », ainsi que celle de ne pas oser être pleinement soi-même par peur de devenir bouc-émissaire. Quelques petits trucs concrets peuvent nous aider Se sourire chaque matin dans la glace et essayer de se dire 3 choses positives ou qualités ; Quand je me sens blessé, humilié, triste ; quand je sens un mauvais sentiment de revanche, de mépris, de haine, de volonté de blesser monter en moi, je peux accueillir cela et repenser aux 3 choses positives du matin ; Ne pas avoir peur d’oser dire ce que je pense, oser formuler mes attentes. Oser affronter un refus, ne pas craindre un heurt, en parlant en je » et de ce qui m’habite ; Lydia Dessain Conseillère conjugale et familiale et Thérapeute systémicienne. Je reçois à Court-St-Etienne Brabant Wallon, Namur et Bruxelles 0496/ [1] Théorie développée par René Girard Le bouc émissaire »

comment ne plus être un bouc émissaire